Il y a un moment.
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En effet. Voilà qui est dit.
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Pour moi. Bien sûr.
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Un moment que j’avais laissé un peu de côté «mes affaires», «les trucs sur lesquels je gosse», «les projets qui finissent par me rattraper». Curieusement, en cette fin d’automne plein de chaleurs et en cette amorce de saison plus pâle (peut-être), l’envie me reprend.
La saison s’est ouverte sur une cave (pire qu’un sous-sol) de grand restaurant. Sur un interminable escalier menant aux bas-fonds, selon Emmett le «new guy», ou à la «fondation», selon Dressler l’habitué: la salle de lavage de vaisselle; celle où tout commence et se termine. Les Dishwasheurs de Morris Panych, production du toujours étonnant groupe Momentum, m’a complètement séduit. Cette mise en scène ingénieuse de Stéphane Demers mettant en vedette l’excellent (le mot est faible) et l’investi François Papineau, Stéphane Crète et le méconnaissable Jacques L’Heureux, présentée aux Ateliers Jean-Brillant, allie tout ce qui fait la force de Momentum: audace, lieu hors-théâtre, comédiens vertigineux, humour tantôt grinçant et tantôt tendre, commentaire social… Une forte réflexion sur le sens et la nature de bonheur, sur l’acceptation de soi et de son sort, sur l’incessante quête de la pelouse plus verte, ainsi que sur l’éternelle comparaison d’avec un avant fantasmé qui au moment de ladite comparaison n’existe plus depuis déjà longtemps.
Poursuite de la saison avec une proposition toute comme je les aime: claque sur la gueule, poing dans le ventre, souffle court, «à quoi viens-je d’assister là?»… Aux Écuries a hôté cet encore difficile à décrire objet au titre intriguant: Hamlet est mort. Gravité zéro. Violent, vulgaire, douloureux, funambule, maîtrisé; plonge abrupte et de plein fouet au plein coeur d’une plaie personnelle – familiale – humaine – existentielle impossible à refermer. Une proposition de Gaétan Paré brute, dure, brutale. Dont on ne sort pas indemne. Des acteurs (entre autres Ève Landry et Sébastien Dodge) en abandon complet à la proposition. Rare.
Totale différente suite avec quatre-vingts minutes d’intense concentration, accompagné de mon fils de treize ans, pour son tout premier Beckett. J’avais déjà assisté au magnifique Premier amour de Sami Frey l’an dernier. Si magnifique qu’il ne m’était même pas venu à l’idée d’avoir l’envie d’aller assister à celui de Jean-Marie Papapietro, présenté quelques semaines plus tard. Comme la production a été reprise chez Fred-Barry, c’était l’opportunité. Un Roch Aubert troublant et lumineux (ou illuminé), tout en confidence, au beau milieu de son ombre l’entourant. Beau, simple, efficace. Intime. L’accent sur un texte étrange, touffu, progressant en volutes successives; l’acteur complètement à son service, incarnant cet être sans cesse inquisiteur et un brin égaré. Un fort concentré beckettien pour un père curieux et un fils intrigué. Résultat? Un lien sans cesse renouvelé qui prend plaisir à se raffiner. Le théâtre est d’abord ce lieu de rencontre.
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Chaleurs d’automne?
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Il y a longtemps que je n’avais plus mis les pieds à La Licorne. J’aurai rassasié cette attente en y allant trois fois en moins de deux mois. Ce moment-là, Les Mutants, L’obsession de la beauté. Les deux premiers à la grande, le troisième à la petite. Le premier, qu’on pourrait aisément comparer à certains textes forts de Michel Marc Bouchard, est, justement, moins fort. Si les performances d’Émilie Bibeau et de Mani Soleymanlou, mais surtout celle de Louise Laparé, sont écorchées et puissantes, Patrick Hivon époustoufle nettement moins, ce qui rend cette espèce de rage inhérente au trouble familial qui nous explose au visage (et qui repose en grande part sur lui), un peu moins enragée; plus tiède que chaude. Le second, marque d’une certaine jeunesse, verrait sans doute un dérivé de ce titre associé à son propos afin de mieux le décrire. Il y a quelque chose d’inabouti dans ces Mutants. Il y a certes une urgence, une volonté de dire et d’être, mais laquelle? Et dans quel but? Cet état de notre état (avec petit et grand «a», au singulier comme au pluriel) montre sans trop éclairer. Une idée de base probablement emplie de potentiel, qui malheureusement peine à se réaliser. Le troisième, reposant surtout sur le jeu d’acteurs, montre une Anne-Élisabeth Bossé à la fois revêche et insécure; à la carapace bien attachée mais à l’intérieur fragile. Belle découverte d’une autre facette de son talent. Une intéressante proposition de Frédéric Blanchette – dans son champ d’intérêts -, pas toujours égale, au texte aux accents d’une certaine jeunesse manquant peut-être d’un peu de nuances, mais assez touchante en clôture.
Deuxième rencontre entre fiston et son père, à laquelle ajouter Espace libre et Léo. Ludique proposition de Daniel Brière et de Tobias Wegner, oscillant entre réel et imaginaire, entre cube de l’acteur et projection de personnage sur écran. Une fable sur la gravité, qui pèse souvent trop lourd et qui, lorsqu’on s’en échappe – du réel vers sa projection -, laisse libre cours à l’expression de l’imagination, jusqu’aux confins même d’une valise sans fond.
Surprenante fin de saison chaude sur pointes. Agréable retour au Prospero pour moi, après également plusieurs années, pour assister à La Danse de mort de Strindberg, dans la mise en scène de Gregory Hlady. Cette Danse, portée par un trio d’acteurs remarquable et inspiré – Danielle Proulx, Paul Ahmarani et Denis Gravereaux – se déploie sur une superbe scénographie signée Vladimir Kovalchuk. Chassé-croisé du pouvoir et de la manipulation, ambiance malsaine et gangrenée, situation étouffante et sans issue, Paul Ahmarani en tutu, projections, bande sonore envahissante, confiance absolue en les capacités de lecture des spectateurs, cette proposition de Hlady étourdit, séduit, intrigue, assomme, laisse perplexe… Tellement qu’on n’arrive plus à dire si les multiples couches détournent de l’objet ou si au contraire elles ne l’enrichissent pas davantage. Grand intérêt que de terminer une saison perplexe, entre deux chaises, à marcher avec un spectacle qui vous suit comme une ombre qui pèse et qui hante…
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Chaleurs d’automne, donc. Oui. Il m’en donne encore. Et sa fréquentation me remplit toujours un peu plus la tête et le coeur d’images nouvelles, de réflexions neuves, d’observations intérieures inédites et d’émotions renouvelées. Chauds grommelots pour le baladin; bizut prosélyte.
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Du moins, j’essaie…